Pour un élan

Ici des idées et propositions pour générer des élans : de solidarité, d'initiatives positives, de formalisation des entrepreneurs informels...

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Par Margault Phélip
26 mai · 2 mn à lire
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Aider les entrepreneurs de l’économie informelle à se « mettre au carré » : un investissement social précieux!

L'entrepreneuriat de la débrouille, phénomène massif et même croissant en France, est un angle mort de la politique publique, que ce soit les politique économiques, les politiques sociales, ou économiques. Pourtant, seule une attention particulière et des actions dédiées permettent d'aider les entrepreneurs informels à passer le cap.

La France cherche son modèle social. Les Français ne cessent de parler travail, fraude, retraite et autres cotisations sociales depuis plusieurs semaines. D'Éditos en émissions, de débats en manifestations, de lois en contre-programmes, tout se discute actuellement, sous toutes les coutures. À une exception près, pourtant de taille: ce qu’il est convenu d’appeler l’entrepreneuriat informel.

On ne parle pas ici d’activités illicites comme le trafic de drogue mais bien d’activités légales qui ne sont pas déclarées. C’est le fameux travail au noir. Formule imprécise, tout comme l’est sa mesure (L’OCDE estime tout de même qu’il peut aller jusqu’à 8% du PIB) même si chacun a fait l’expérience de cette dimension parfois quotidienne de notre vie économique, en tant que client, prestataire ou travailleur. Formule imprécise car loin d’être uniforme, cette économie est éminemment paradoxale : l’économie informelle peut être à la fois source de liberté et de servitude comme l’écrivent Laurence Fontaine et Florence Weber dans leur ouvrage dédiée à la question*.

Facteur de servitude et de précarité pour beaucoup et d’abord pour tous les travailleurs, c’est-à-dire avec un statut hiérarchique d’employés non déclarés. Mais, et c’est notre objet ici, facteur de liberté, pour des personnes qui utilisent l’entrepreneuriat informel comme un moyen de survivre à court terme et plus fondamentalement comme l’espoir d’une vie professionnelle pleinement réalisée.  

De qui parle-t-on ici pour éviter tout amalgame avec les “employés au noir” ou les simples fraudeurs ? Des pratiques entrepreneuriales informelles qui sont le fruit non seulement d’une méconnaissance administrative mais surtout d’une difficulté à s’assumer réellement comme « entrepreneur », plus particulièrement chez des catégories de publics dites “vulnérables” face à l’emploi : les jeunes, les femmes, les personnes à faibles qualifications*. La formule qui résume la situation est le plus souvent “je déclarerai quand ça fonctionnera vraiment”. Cela relève donc davantage du manque de confiance en soi plus que de l’absence de conscience citoyenne. C’est Adam, qui a un atelier mécanique-auto dans son garage à Roubaix, c’est aussi Odette, traiteur à domicile ; Nadir, charpentier hors-pair à Nogent-sur- Marne ; Sana, créatrice de jouets sensoriels à Nyons ...  Cette réalité entrepreneuriale, informelle par crainte face au chemin de la formalisation, et pourtant qui aspire à « se mettre au carré », est une réalité d’ampleur, là où on voudrait faire croire qu’elle fait figure d’exception.

L'entrepreneuriat informel est encore largement un angle mort des politiques publiques : on ne parle pas entrepreneuriat informel avec son conseiller pôle emploi, on ne pense pas entrepreneuriat de débrouille dans les politiques RSA, ni dans les multiples dispositifs d’appui à la création d’entreprise, qui existent dans les quartiers prioritaires de la ville ou ailleurs. Pourtant, ces personnes ont besoin d’être accompagnées pour tendre vers un entrepreneuriat de droit commun, durable, créateur de valeur individuelle et collective et contributif du contrat social. Il ne s'agit ni de naïveté ni même de bienveillance: notre expérience nous amène simplement à affirmer que seul un accompagnement spécifique peut être à la fois efficace pour faire des entrepreneurs informels encore hésitants des acteurs économiques à part entière et rendre socialement plus acceptable la nécessaire lutte contre la fraude fiscale.  

Sans dispositifs dédiés d’accompagnement, on met tout le monde dans le même panier et on accepte un statut quo contre-productif. Pendant que certains considèrent qu’il vaut mieux tolérer l’entrepreneuriat informel, tant cette économie grise constitue un matelas anti-crise et anti-inflation, d’autres font semblant de la combattre tout en sachant que l’Etat n’a pas les moyens d’être derrière tous les débrouillards de France. Pendant ce temps, le pacte républicain s’érode, les finances publiques souffrent et des talents d’entrepreneurs se gâtent.

Nous proposons donc une mesure simple : créons des dispositifs d’accompagnement dédiés mais massifs pour tendre vers un entrepreneuriat de droit commun, durable, créateur de valeur individuelle et collective. En d’autres termes, ne passons pas à côté de l’opportunité de créer un “élan de formalisation” pour ceux qui peuvent et qui veulent « se mettre au carré ».

Objectif 10 000 entreprises ainsi créées dans les 1000 prochains jours!

Des expérimentations ont déjà ouvert la voie en proposant un accompagnement à l’activité entrepreneuriale formalisée: le programme Tremplin de l’ADIE, Lulu Dans Ma Rue, Entreprendre&vous de Synergie Family, MonBusinessCarré d’Archipel&co, ou plusieurs restaurants sociaux et chantiers d’insertion de quartier...

Nous proposons une initiative simple : dédions 0,1% des recettes de la lutte contre la fraude fiscale pour lancer un fonds d’appui à ces entrepreneurs et susciter un véritable élan de formalisation. Les entreprises nouvellement formalisées rapportaient à leur tour des recettes fiscales, les talents seraient reconnus pour leur travail et la cohésion sociale en sortirait renforcée. Loin d’une nouvelle dépense, c’est un véritable investissement social que nous proposons, et qui nourrira à la fois notre socle économique et républicain.

Arrêtons de tourner en rond. Mettons ces entreprises au carré, comme le veulent ces entrepreneurs.

Cet article a été co-écrit par Margault Phélip et David Ménascé, et co-signée par plus d’une vingtaine d’acteurs associatifs, privés et publics.